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Transmigration dans la région frontalière

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Transmigration dans la région frontalière

Dans la région frontalière entre la Belgique et le nord de la France se déroule une réalité humaine et sociale complexe. Située près du point le plus étroit de la Manche, cette zone est depuis des années un carrefour important pour les transmigrants — des personnes en route vers le Royaume-Uni en quête d’une vie meilleure et plus sûre. Malgré le renforcement des contrôles aux frontières et la coopération internationale, beaucoup s’arrêtent temporairement dans la région. Les différents volets de ce dossier mettent en lumière la réalité de terrain allant des traversées risquées en petites embarcations jusqu’aux actions locales comme celle du centre RéPIT à Tournai.

La région frontalière entre la Belgique et le nord de la France est un point de rassemblement important pour les transmigrants qui tentent de traverser la Manche vers le Royaume-Uni. Cette zone est située près de la partie la plus étroite du détroit et bénéficie de nombreuses infrastructures telles que des autoroutes, des lignes de chemin de fer et des ports comme Calais et Dunkerque. Cela en fait un lieu privilégié pour les migrants et les passeurs cherchant à rejoindre le Royaume-Uni.

Avec le renforcement des contrôles aux frontières dans les ports et sur les camions ces dernières années, de nombreux migrants cherchent des itinéraires alternatifs. Beaucoup s’installent temporairement dans de petits villages et villes de la région frontalière, en attendant une opportunité de traverser. Des réseaux criminels sont également actifs dans la région, organisant les passages grâce à la proximité du Royaume-Uni et à l’infrastructure disponible.

Les possibilités d’accueil sont limitées, ce qui oblige de nombreux migrants à vivre dans des camps improvisés ou dans la rue. La situation politique, comme le Brexit et le durcissement de la politique d’asile britannique, rend l’accès légal au Royaume-Uni plus difficile. Par conséquent, de plus en plus de personnes se tournent vers des routes illégales et dangereuses.

La coopération entre la Belgique, la France et le Royaume-Uni vise principalement à empêcher les traversées illégales, mais elle mais elle n'apporte pas de solutions (durables) aux migrants présents dans la région frontalière. En raison de tous ces facteurs, cette zone reste un point de départ important pour les transmigrants qui espèrent trouver une vie meilleure de l’autre côté de la Manche.


La transmigration désigne le phénomène où des migrants séjournent temporairement dans un pays pour se rendre dans un autre.

Pourquoi les transmigrants choisissent-ils le Royaume-Uni ?

Pour de nombreux transmigrants, le Royaume-Uni reste une destination attrayante, malgré les grands risques liés à la traversée. Une raison importante est la présence de membres de la famille ou d’amis déjà installés au Royaume-Uni. L’espoir de retrouver leurs proches motive beaucoup de migrants à entreprendre ce voyage dangereux. De plus, beaucoup parlent déjà un peu anglais, ce qui facilite l’intégration et l’accès à l’emploi. La barrière de la langue est donc moins importante qu’ailleurs en Europe.

Le Royaume-Uni est perçu comme un pays offrant de nombreuses possibilités d’emploi, même pour les personnes peu qualifiées. Les migrants espèrent y gagner un meilleur revenu et offrir plus de sécurité à leur famille. Le pays est également considéré comme un endroit sûr, démocratique et respectueux des droits humains. Pour ceux qui fuient la guerre, la persécution ou la pauvreté, cet aspect est essentiel.

La société multiculturelle britannique et la présence de grandes communautés d’immigrés rendent plus facile la construction d’une nouvelle vie. Pourtant, les transmigrants prennent de grands risques car il existe peu de moyens sûrs et légaux de demander l’asile au Royaume-Uni. Pour beaucoup, le danger de la traversée est moindre que celui de rester dans leur pays d’origine. Parfois, ils sont aussi trompés par des passeurs qui présentent le Royaume-Uni comme un pays où tout est possible. Malgré les dangers, ils choisissent cette voie dans l’espoir d’une vie meilleure et plus sûre.

Source : British Red Cross


Pourquoi la France tente-t-elle d’arrêter les transmigrants ?

La France cherche à empêcher les transmigrants de traverser la Manche vers le Royaume-Uni. Le gouvernement français agit avant tout pour protéger la sécurité des migrants eux-mêmes, car la traversée de la Manche est très dangereuse, surtout dans de petites embarcations surchargées. Chaque année, des accidents tragiques se produisent et la France souhaite éviter de nouveaux drames. 

En outre, la France ne veut pas devenir un point de départ majeur pour la migration illégale vers le Royaume-Uni. En adoptant une attitude ferme, les autorités veulent montrer que ces traversées illégales ne sont pas tolérées. Les traversées sont souvent organisées par des réseaux criminels de passeurs. En bloquant les migrants, la France cherche à perturber ces réseaux et à limiter la criminalité liée à la migration. 

La coopération internationale joue également un rôle important. Le Royaume-Uni exerce une pression diplomatique et apporte un soutien financier à la France pour renforcer la sécurité à la frontière. En échange, la France est attendue pour empêcher activement les traversées. 

Que fait le Royaume-Uni en échange ?

Le Royaume-Uni soutient la France avec d’importants moyens financiers et une coopération opérationnelle. Depuis 2014, le Royaume-Uni a investi plus de 319 millions de livres (environ 362 millions d’euros) dans le contrôle des frontières en France. Ces dernières années, de nouveaux accords ont été conclus : en 2021, le Royaume-Uni a versé 62,7 millions d’euros pour renforcer les patrouilles et la technologie, en 2022, 72,2 millions d’euros pour une sécurité supplémentaire, et en 2023, il a été convenu que le Royaume-Uni paierait 480 millions de livres sur trois ans pour, entre autres, pour créer des centres de détention et 500 agents français supplémentaires.

De plus, des agents frontaliers britanniques et français travaillent ensemble dans les ports et les gares, et le Royaume-Uni finance de nouvelles technologies comme des caméras, des drones et des équipements de détection. Grâce à cette coopération, les migrants sont souvent arrêtés avant d’atteindre le Royaume-Uni. Ainsi, le Royaume-Uni tente de limiter le nombre de demandes d’asile.

Source : House of Commons Library, Unauthorised migration: Timeline and overview of UK-French cooperation, 2025

Traverser la Manche en petits bateaux

Au cours de la période 2000-2017, les tentatives de traversée illégale se faisaient principalement par camions, trains et ferries. Le nombre de traversées enregistrées par bateau était négligeable ; des chiffres officiels sur les traversées en bateau ne sont disponibles qu’à partir de 2018.

  • Depuis 2018, on observe une forte augmentation du nombre de traversées illégales enregistrées par bateau. Les autorités britanniques et françaises publient depuis cette année-là des statistiques systématiques sur les petites embarcations (« small boats »).
  • Depuis 2018, le nombre de traversées illégales de la Manche en petites embarcations a fortement augmenté, avec environ 37 000 traversées enregistrées en 2024.
  • La majorité des traversées concerne des hommes de plus de 18 ans, avec une part importante de mineurs.
  • Les personnes traversant sont majoritairement originaires d'Iran, d'Afghanistan, d'Irak, d'Albanie, de Syrie et d'Érythrée, ces nationalités représentant 70 % du total des traversées.
  • Le taux d'octroi d'asile pour les arrivants en petites embarcations est de 68%, supérieur au taux général.
  • Environ 5 000 personnes arrivées en petites embarcations ont été renvoyées, principalement en Albanie.
  • En 2024, 73 personnes sont décédées lors de tentatives de traversée, un record.
  • L'augmentation des traversées en petites embarcations est liée à un renforcement des contrôles sur d'autres routes et à la professionnalisation des réseaux de passeurs.
  • Les migrants choisissent souvent le Royaume-Uni pour des raisons familiales, linguistiques, culturelles et en raison de la sortie du système de Dublin après le Brexit. Le système de Dublin est un accord européen qui détermine quel pays de l’UE est responsable de l’examen d’une demande d’asile. En général, il s’agit du premier pays européen dans lequel le demandeur d’asile entre et est enregistré. Ce mécanisme vise à éviter les demandes multiples dans plusieurs pays. Avant le Brexit, le Royaume-Uni participait à ce système. Cela signifiait que les migrants arrivant via un autre pays de l’UE pouvaient être renvoyés vers ce pays afin d’y traiter leur demande d’asile. Depuis le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est en dehors du système de Dublin. Il n’est donc plus tenu de renvoyer des demandeurs d’asile vers le premier pays d’entrée selon les règles européennes. Le pays fixe désormais ses propres règles d’asile, ce qui a modifié les stratégies migratoires.
  • Les politiques visent à renforcer l'application de la loi, à dissuader et à créer des voies sûres et légales.
  • L'Italie, l'Espagne et la Grèce ont connu plus d'arrivées maritimes non autorisées que le Royaume-Uni en 2024.

Source : The Migration Observatory, University of Oxford

Het aantal aankomsten met kleine boten in het Verenigd Koninkrijk is gestegen in de eerste maanden van 2025.

Nouvel accord migratoire Royaume-Uni–France

Le Royaume-Uni et la France ont signé un accord sur la gestion des migrants le 10 juillet 2025, qui est entré en vigueur le 6 août 2025. Selon ce nouveau dispositif, les migrants arrivant illégalement au Royaume-Uni peuvent être renvoyés en France, tandis que le Royaume-Uni accueille en échange le même nombre de demandeurs d’asile légitimes venant de France. Étant donné que la règle vient tout juste d’être mise en application, il est encore trop tôt pour en évaluer les effets ou l’efficacité. Il faudra attendre les prochaines semaines pour mesurer l’impact réel de ce mécanisme sur la lutte contre la traite et les traversées clandestines. Le dispositif fonctionne à titre expérimental jusqu’en juin 2026, et les résultats feront l’objet d’un suivi attentif.


La transmigration diminue sur la côte belge

Alors que la côte nord-française fait face à une situation difficile, la côte belge affiche des résultats encourageants. Le nombre de transmigrants interceptés dans le port de Zeebruges a fortement diminué. De plus, aucun campement de tentes n’est apparu à la côte ouest, près de La Panne. Pourtant, le gouverneur de Flandre-Occidentale, Carl Decaluwé, insiste sur la nécessité de poursuivre les efforts et réclame un soutien plus efficace de Bruxelles.

"Nous restons vigilants avec la zone de police de la côte ouest. À Zeebruges aussi, la situation reste sous contrôle grâce au soutien de la UK Border Force et du Home Office. Même autour des parkings d’autoroute, la situation est pour l’instant sous contrôle, mais la pression reste élevée."

 — Carl Decaluwé, gouverneur de Flandre-Occidentale

Decaluwé cite les deux principaux points chauds : la côte ouest et le port de Zeebruges. Dans ce dernier, la situation s’est nettement améliorée : de 2.500 transmigrants interceptés en 2021 à 350 en 2023, et seulement 64 durant les cinq premiers mois de cette année. Ces chiffres proviennent du ministre belge de l’Intérieur, Bernard Quintin.

"La situation s’améliore par rapport à l’an dernier. C’est très positif. Cela montre l’efficacité du travail de la police maritime, des autres services de la police fédérale, ainsi que de la police locale."

 — Bernard Quintin, ministre de l’Intérieur (BE)

Le soutien financier de la “UK Border Force” a été important, mais Monsieur Decaluwé plaide pour une meilleure coopération entre les services français, britanniques et belges. Il demande des contrôles quotidiens, notamment sur la ligne de bus Dunkerque – La Panne, qui suscite des inquiétudes. La ministre belge de l’Asile et de la Migration, Van Bossuyt, annonce des contrôles d’entrée supplémentaires cet été, notamment sur cette ligne de bus.

Le chef de corps de la zone de police de la côte ouest, Nicholas Paelinck, demande également un soutien fédéral accru. Son équipe effectue des contrôles quotidiens, mais il souhaite que des actions soient menées plus en amont, notamment sur les liaisons ferroviaires Bruxelles-Adinkerke et Bruxelles-Ostende.


A lire 

Myria - Centre fédéral Migration - a publié un numéro de sa série MyriaDoc en se consacrant à la migration de transit sur la Belgique.

Publication MyriaDoc 10 (BE) “La Belgique, une étape vers le Royaume-Uni” (2020) : https://www.myria.be/fr/publications/myriadoc-10-migration-de-transit 

Un appui essentiel à Tournai pour les personnes en transit

Au cœur de Tournai, le Plateforme pour l’Interculturalité (PIT) offre depuis 2021 un espace de répit pour les personnes exilées en transit. Cinq jours par semaine, celles-ci peuvent y trouver un peu de repos, de la nourriture, un endroit pour charger leur téléphone ou encore faire une lessive. Mais l’aide ne s’arrête pas là : le “réPIT” propose également un accompagnement social, juridique ou médical.

Pour Zoé Masquelier, coordinatrice générale de la Plateforme pour l’Interculturalité, la mission est claire : répondre aux besoins réels et variés des personnes de passage.

« Nous, on répond aux demandes des usagers. Donc certains ne vont absolument pas faire de demandes, vont juste venir pour charger des téléphones, manger un bout, faire une lessive et c’est tout à fait OK. Et puis certains vont nous interpeller en disant : tiens, moi j’ai besoin d’un avocat parce que je me pose des questions sur mes droits en Belgique. »

 — Zoé Masquelier, Coordinatrice générale de la Plateforme Pour l'Interculturalité à Tournai

Et lorsqu'une aide médicale est nécessaire, l’équipe agit immédiatement.

Au-delà de cette aide directe, la Plateforme accompagne également les personnes qui le souhaitent dans leur parcours d’intégration et développe des projets interculturels tout au long de l’année. Constituée de quatre salariés et d’une vingtaine de bénévoles, l’équipe agit avec une conviction commune. À l’origine, le RéPIT a vu le jour comme réponse citoyenne et associative à une situation d’urgence dans les rues de Tournai.

« Nous, on s’est créé en réponse à une situation. Des personnes survivaient... à la sortie de Tournai et la réponse... a été de créer RéPIT et proposer cet espace. Ça permet de passer de l’information, de mettre en sécurité des personnes, de détecter des risques sur la route migratoire et de sensibiliser et d’informer correctement les personnes. »

 — Zoé Masquelier, Coordinatrice générale de la Plateforme Pour l'Interculturalité à Tournai

La Plateforme est financée par la Région wallonne et le Relais social urbain de Tournai, et collabore avec la Commission Exilés en Transit de la Conférence des bourgmestres et des élus de Wallonie picarde. Des liens sont aussi établis avec des structures à Bruxelles et dans le Nord-Pas-de-Calais.

En moyenne, 17 personnes passent chaque jour par le centre pour un moment de répit ou un accompagnement. Et pour Zoé Masquelier, ces mouvements ne s’arrêtent pas aux frontières :

« Les personnes en migration, elles, ne font pas attention aux frontières. C’est un peu comme les inondations. Elles ne vont pas s’arrêter à la frontière... Elles ont un objectif, c’est d’arriver quelque part en sécurité et de se poser... Nous, on n’est finalement qu’un chez nous d’aide et d’accompagnement dans ce parcours. »

Initiatives citoyennes 

Des initiatives citoyennes de petite échelle existent partout le long de la frontière franco-belge et dans le nord de la France.

Elles mettent souvent l’accent sur l’accueil d’urgence, l’aide alimentaire, la solidarité et l’accompagnement, en collaboration avec des associations locales et des communes.

Migraction59 : https://migraction59.net/

Utopia 56 : https://www.carenews.com/utopia-56/news/bienvenue-a-utopia-56

Le RAIL : https://www.lacimade.org/activite/rail-reseau-daccueil-dimmigres-a-lille/