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La coopération policière transfrontalière

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La coopération policière transfrontalière

Ce dossier est consacré à la thématique de la criminalité et la coopération policière transfrontalière dans la région frontalière franco-belge, et vous emmène des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, avec l’actuelle approche coordonnée. La criminalité à la frontière a connu, ces dernières décennies, une transformation marquante : des braquages violents au début des années 1990 vers des réseaux actuels complexes liés aux trafics de drogue, à la traite des êtres humains et à la transmigration. Là où les criminels utilisaient autrefois la frontière comme une porte de sortie sûre, ils se heurtent aujourd’hui à un ensemble structuré d’accords et de coopérations entre services de police.

La criminalité transfrontalière évolue

La « bande Kappa » était le nom donné à une série de bandes criminelles, actives principalement dans les années 1990, qui étaient tristement célèbres en Flandre occidentale méridionale et juste de l’autre côté de la frontière, dans le Nord de la France. Elles commettaient des cambriolages violents et des braquages de commerces, souvent avec des voitures volées rapides, en s’appuyant sur un ancrage solide juste de l’autre côté de la frontière française.

Ces bandes profitaient de la coopération encore faible entre les services de police belges et français : frapper rapidement d’un côté de la frontière, puis s’enfuir aussitôt de l’autre côté. Pendant des années, leurs activités ont été l’exemple emblématique de la criminalité transfrontalière dans la région et ont contribué à renforcer la coopération policière franco-belge, notamment par des accords conjoints et des opérations coordonnées.

Depuis les années 1990, la criminalité transfrontalière a évolué, passant de ce type de bandes frontalières à un mélange de bandes locales, de groupes itinérants et de formes de criminalité plus organisées et internationalisées. Dans le même temps, l’approche policière est devenue bien plus professionnelle et coordonnée, ce qui permet de faire reculer ou de traiter plus rapidement certains faits, alors que de nouveaux phénomènes — trafic de drogue, traite des êtres humains, dimension cyber — se sont développés.

Années 1990 : apogée des bandes frontalières classiques

Des études sur le sud-ouest de la Flandre et la zone frontalière autour de Courtrai–Lille décrivent comment, dès les années 1980 et au début des années 1990, des groupes de malfaiteurs originaires du Nord de la France commettaient massivement des délits contre les biens juste de l’autre côté de la frontière, avec des voitures volées rapides, des cambriolages violents de magasins d’électronique, de sport ou de joaillerie, et des raids profitant des passages frontaliers non contrôlés. La frontière jouait alors un rôle protecteur pour les auteurs : la coopération entre les services de police belges et français restait limitée et l’échange d’informations était lent et lourd.

Avec la mise en œuvre progressive de Schengen, au milieu des années 1990, les contrôles systématiques aux frontières ont disparu, ce qui a accru la mobilité des habitants comme celle des criminels. Dans la région frontalière franco-belge, cela a entraîné davantage de banditisme et de vols transfrontaliers, mais aussi une prise de conscience accrue de la nécessité de coopérer pour compenser l’ouverture de la frontière.

2000–2010 : structuration et premiers résultats

À partir des années 2000, la coopération a été formalisée par des accords comme celui de Tournai et par le développement de zones de police et de structures de coordination transfrontalière. Le Comité P en Belgique constate que la division en « bassins de criminalité » et le renforcement de la coopération entre zones de police ont porté leurs fruits. Cela a permis de mener des actions plus ciblées contre les cambrioleurs itinérants et la criminalité liée aux véhicules en Flandre occidentale méridionale et dans les zones voisines du Nord de la France.

2010 à aujourd’hui : réseaux organisés et transmigration

Aujourd’hui, la criminalité transfrontalière est davantage imbriquée dans des réseaux internationaux, notamment en matière de trafic de drogue, de traite des êtres humains et de transmigration vers les ports de la Manche. Dans les régions de Wallonie picarde et de Flandre occidentale, la transmigration est explicitement citée, aux côtés de la criminalité transfrontalière, comme un thème prioritaire, ce qui se traduit par davantage de contrôles conjoints locaux et par des opérations comme FUTURE tout au long de la frontière.


Les accords de Schengen

Les accords de Schengen constituent la base de la libre circulation des personnes en Europe. Ils permettent aux habitants et aux voyageurs de se déplacer, en principe sans contrôles systématiques de passeport, à l’intérieur de l’espace Schengen et donc à travers les frontières intérieures des États participants. En contrepartie, ils obligent ces États à appliquer des règles communes strictes aux frontières extérieures et à renforcer leur coopération en matière de police, de justice et de politique des visas.

Le premier accord de Schengen a été signé en 1985 par la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et la République fédérale d’Allemagne, avec l’objectif de démanteler progressivement les contrôles traditionnels à leurs frontières communes. En 1990, la Convention d’application de Schengen a suivi, précisant concrètement les modalités : suppression des contrôles systématiques aux frontières intérieures, politique commune des visas et approche coordonnée des frontières extérieures.

Du fait de la disparition des contrôles aux frontières intérieures, Schengen prévoit des mesures compensatoires pour garantir la sécurité. Parmi celles‑ci figurent la mise en place de bases de données policières communes, comme le Système d’information Schengen, un échange d’informations plus intense entre services de police et des règles claires pour la coopération transfrontalière et les poursuites au‑delà des frontières. En cas de menace grave pour l’ordre public, les États peuvent réintroduire temporairement des contrôles aux frontières, mais uniquement dans des conditions strictement encadrées.

Pour les régions frontalières, Schengen a représenté un bond en avant en termes de mobilité : habiter, travailler, faire ses achats ou voyager de l’autre côté de la frontière est devenu beaucoup plus simple. Dans le même temps, cette plus grande ouverture a mis en lumière l’importance d’une coopération policière transfrontalière efficace, développée par la suite à travers des accords franco‑belges spécifiques et des opérations conjointes contre la criminalité transfrontalière.

L’Accord de Tournai

L’accord de Tournai de 2001 est le traité de base qui donne une structure stable à la coopération policière et douanière franco-belge dans la zone frontalière et qui a ouvert la voie aux patrouilles mixtes ainsi qu’au centre commun de Tournai. Cet accord a conduit à un échange d’informations plus intense, à des contrôles conjoints et à des actions visibles contre la criminalité transfrontalière le long de l’ensemble de la frontière franco-belge.

Le 5 mars 2001, la Belgique et la France ont signé à Tournai un accord « relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière ». Son objectif est de mieux combattre la criminalité transfrontalière, l’immigration irrégulière et la fraude douanière en rapprochant la coopération entre les services de police et de douane des deux pays dans la zone frontalière.

L’accord stipule notamment que les services de police doivent s’entraider, échanger rapidement des informations et pouvoir conclure des arrangements pratiques spécifiques pour les régions frontalières. Il prévoit en outre la possibilité de patrouilles mixtes, dans le cadre desquelles des policiers et douaniers belges et français effectuent ensemble des contrôles dans une bande délimitée le long de la frontière.

Le centre de Tournai (CCPD/PCCC)

L’un des résultats concrets les plus importants est la création du Centre de coopération policière et douanière (CCPD/PCCC) de Tournai, situé sur le territoire belge. Dans ce centre, des équipes françaises et belges travaillent ensemble 24 heures sur 24 pour collecter, analyser et transmettre des informations aux services de police locaux et fédéraux de la région frontalière.

Ce centre est devenu le véritable nœud de la coopération opérationnelle quotidienne : les dossiers de criminalité transfrontalière, de traite des êtres humains ou de groupes de délinquants itinérants y sont rapprochés, de sorte que les zones de police des deux côtés de la frontière puissent réagir plus rapidement.

Patrouilles mixtes et opérations conjointes

Grâce à l’accord de Tournai, des patrouilles mixtes franco-belges peuvent être déployées, des équipes composées d’agents des deux pays patrouillant ensemble dans la zone frontalière. Dans la communication officielle et les reportages, on souligne que ces patrouilles et contrôles conjoints – comme les grandes opérations de nuit le long de l’axe de La Panne à Tournai – s’inscrivent directement dans le cadre de coopération défini à Tournai.

Cette approche rend plus difficile pour les criminels d’utiliser la frontière comme une « porte de sortie sûre » : les équipes peuvent intervenir sur le territoire de l’autre partie dans des zones convenues et échanger des informations en temps réel via le centre de Tournai.

Développements ultérieurs et impact

L’accord de Tournai a ensuite été complété et actualisé (Tournai II), notamment par une définition plus précise de la zone de travail commune et un ancrage renforcé de la coopération dans les différentes zones de police belges. Des études indiquent que ces accords ont concrètement renforcé la coopération entre les zones de police le long de la frontière franco-belge et rapproché la coordination quotidienne autour de la criminalité transfrontalière de la réalité du terrain.


En savoir plus

La coopération transfrontalière entre la Belgique et la France pour les zones de police des provinces du Hainaut et de Flandre occidentale - Comité permanent de contrôle des services de police (BE) (2020)

Ce dossier du ministère français de l’Intérieur montre comment la France et la Belgique ont renforcé, ces dernières années, leur coopération policière à la frontière. Il explique sur quels traités et accords repose cette collaboration, comment fonctionnent les équipes communes de police et les centres de coopération policière et douanière, et de quelle manière les « opérations en miroir » et les patrouilles mixtes sont mises en œuvre concrètement sur le terrain. (2016)

Future

Future est une opération de police récurrente et de grande envergure le long de la frontière franco-belge, qui mise sur des contrôles conjoints pour rendre la criminalité transfrontalière visible et l’attaquer de manière coordonnée. L’action est devenue une tradition binationale, avec des résultats mesurables en matière de cambriolages, d’affaires de stupéfiants, de découvertes d’armes et d’infractions routières.

Dans cette opération de contrôle multidisciplinaire, les services de police locaux et nationaux français et belges, les douanes et le service des étrangers mènent ensemble des contrôles aux points stratégiques entre La Panne et Tournai. Ils ciblent simultanément la criminalité liée aux véhicules, les bandes de voleurs itinérants, les trafics de drogues et d’armes, la traite des êtres humains et les infractions au code de la route, souvent avec l’appui de chiens renifleurs et parfois d’un hélicoptère de police.

Future est née au sein de la zone de police Grensleie, identifiée dans les analyses comme une zone frontalière vulnérable confrontée à diverses formes de nuisances et de criminalité transfrontalières. Depuis Menin, le concept s’est étendu pour couvrir tout un axe d’action, de La Panne (zone de police Westkust) à Tournai (zone de police Tournaisis).

Côté belge, plusieurs zones de police locales, la police fédérale, la police de la route, les douanes, le SPF Économie et le service des étrangers participent, épaulés par des équipes spécialisées. Côté français, la Police nationale, la Police municipale et la préfecture du département du Nord sont notamment impliquées, avec leurs propres points de contrôle et une communication coordonnée vers le public. Cette coopération permet de synchroniser les contrôles de part et d’autre de la frontière, de sorte que les criminels ne puissent plus « jouer » avec la ligne frontalière entre les deux pays.